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Par Michèle Martel

Pour sa première exposition personnelle, Romain Lepage prend le parti de donner à voir des formes préexistantes, provenant de différents répertoires. Ainsi les figures géométriques d'un traité perspectif renaissant côtoient-elles des diapositives de sculptures de la scène minimale américaine ou la réplique, à moindre échelle, des vestiges de la rampe d'un skatepark mythique. Chacune de ces formes trouvées fait l'objet de méthodes d'appropriations distinctes, à commencer par la rencontre qui initie le désir de reconstruction. Le hasard amène parfois ces motifs à Romain Lepage, comme ce fut le cas pour les dessins perspectifs de Vredeman de Vries croisés dans un ouvrage remarquable de l'historien de l'art René Huyghe. D'autres, au contraire, font l'objet d'une recherche obstinée qui prend presque les allures d'une quête. Les photographies du voyage jusqu'au skatepark Rooler Gab, sur les contreforts des Cévennes, en témoignent. La documentation nécessaire réunie, s'ensuit une suite de déplacements qui prolongent la compréhension de la forme. Deux dessins de Paolo Uccello, artiste de la renaissance florentine dont Vasari déplorait qu'il soit fou de perspective, font ainsi l'objet de plusieurs modalités de déploiements dans l'espace. La couronne ou Mazzocchio, figure fétiche de l'artiste italien, quitte la seule surface du papier grâce une imprimante 3D tandis que le vase devient sculpture grâce à la technique plus classique du tour à céramique.

Les différents déploiement des figures trouvées, dans le dessin projectif ou mural, la reproduction photographique ou la sculpture, entrent petit à petit en résonance. Le spectateur est alors amené à envisager la réminiscence des formes grâce à la mise en espace des pièces. Les allitérations plastiques, mises en scène dans le cabinet des diapositives, se dévoilent au fur et à mesure du parcours. Le regard du spectateur glisse et s'enrichit d'une pièce à l'autre. Les figures géométriques en bois, par ailleurs intitulées Voir clairement, se trouvent projetées sur des places publiques, à Hérouville Saint-Clair ou à Caen, faisant écho à l'usage et au détournement de l'es- pace urbain par les skaters ; avant que le spectateur ne retrouve ces sculptures selon un autre point de vue. Romain Lepage propose finalement de considérer ces formes non pas en les rattachant aux contenus sensibles ou spirituels de l'époque qui les a vu naître mais plutôt en questionnant la portée qu'elles peuvent avoir sur notre vision et par conséquent sur notre esprit. Comme l'écrivait il y a un siècle l'historien de l'art Heinrich Wölfflin : « La signification des arts plastiques ne se réduit pas aux contenus – à la sensibilité et à la beauté – qu'ils peuvent communiquer, mais ils contribuent de façon originale à la possibilité pour l'homme de se repérer dans le monde ».

Michèle Martel, texte de l'exposition Use Your Illusion