« 1929 : construction du Pavillon allemand de l'exposition universelle à Barcelone par Mies van der Rohe. 1986 : fin de la reconstruction à l'identique et au même emplacement du Pavillon (commencée en 1983). 2014 : exposition d'une maquette du bâtiment réalisée par Romain Lepage à l'échelle 1/35 ème et à l'aide de mesures que l'artiste a prises du bâtiment à partir de son propre corps.
Face à l'idéal d'éternité et de proportions parfaites de l'antiquité que reprenait à son compte le modernisme, et dont le Pavillon Barcelona de Mies van der Rohe est une icône, Romain Lepage met en évidence la part d'écart que toute reprise implique, en réalisant une ultime maquette du bâtiment (il souhaitait d'abord exposer une maquette présente à l'école d'architecture de Nancy mais celle-ci était détruite) à partir de prises de mesure sur le lieu même, mais à partir de côtes exprimées en fonction de sa taille ou de parties de son corps. S'il reprend une technique ancienne de détermination de l'unité de mesure (pied, pouce...), il évoque ainsi la confrontation d'un modèle supposé inaltérable aux effets du temps et à la mesure imparfaite qu'est l'homme, qu'il s'agisse de sa mémoire ou de son corps. C'est cette même idée d'éternité que met à mal le sanctuaire shinto d'Isé, au Japon, reconstruit à neuf tous les 20 ans depuis plus de 1000 ans, et que l'artiste cite dans ses sources, encadrées dans la première salle, avec les plans originaux du Pavillon, ses relevés et de la documentation. De même, Romain Lepage demande, du Pavillon de Mies van der Rohe – comme de tout bâtiment – s'il s'agit toujours du même à chacune de ses réitérations.
Dans ses enquêtes et reconstitutions architecturales, Romain Lepage interroge peut-être moins des constructions emblématiques qu'il ne les prend comme support matériel pour une recherche portant sur les effets éventuellement délétères de la mémoire et du temps, et dont l'architecture est alors le marqueur le plus fort, en dépit de ses prétentions à résister au passage du temps. »
Vincent Romagny, catalogue Le Chapitre des Bifurcations